
Factum II, 1957
Le Metropolitan Museum accueille actuellement une expositon consacrée aux « Combine paintings » de Rauschenberg.
Il y aurait de multiples façons de parler des « Combine Paintings ». Assemblages, collages, peintures, matériaux divers. Tissus, coupures de journaux, photos, morceaux de vêtements, morceaux de bois, métaux, oiseaux empaillés. Reliefs, superpositions, décalages, creux et revers de portes.
L’on pourrait envisager une approche purement formaliste de l’evolution des peintures mixtes, peintures combinées. « Combine paintings » Mais dès les premières œuvres de l’exposition l’on ne peut s’empêcher de scruter les moindres détails, d’aller et venir entre gros plan et grand angle. Chaque élément combiné a sa charge symbolique qui semble prendre le dessus sur la matière, les matériaux. Le genre d’exposition qui vous fait rentrer dans l’intimité de l’artiste sans ne rien en dire.
Les cartels et les indications réfèrent principalement aux faits : contexte et matériaux. Il suffit ensuite de s’approcher de chaque œuvre et elles vous parleront, lentement, doucement, par quelques mots, reliefs, images et dessins. Chaque visiteur s’en ira visiter la mémoire des œuvres et de son auteur au hasard de son regard.
Mes yeux se posent sur une photo en noir et blanc. Un coureur dans un stade. Il est entouré d’un cercle au pastel bleu. La photo est collée sur la toile peinte. Quelques coulures autour. Une ligne médiane attire ensuite mon regard. De multiples bandelettes de toutes les couleurs sont juxtaposées. Puis une photo de famille, des chevaux. Une carte des Etats Unis. Des carrés de tissus collés sur la toile et repeints délimitent des espaces sur l’œuvre. Des espaces de mémoire que les coulures de peinture relient au hasard de la pesanteur.
Les images sont en noir et blanc mais l’ensemble est coloré.
Un peu comme des images de rêve ou de mémoire finalement. Arrive-t-on toujours à redonner ses couleurs à la réalité ? Les bandelettes colorées semblent nous inciter à donner du vif aux images, à choisir, reconstruire une image réelle par des notes de rouge, d’ocre, de bleu ou de vert. Impressions colorées.
Et puis un peu plus en bas, un peu plus dans l’angle, un diagramme. Comme des satellites. La mémoire visuelle, la mémoire olfactive, la mémoire auditive, la mémoire tactile. Voir, parler, écrire, dessiner, sentir, toucher.
La mémoire en satellites.
L’on retrouve ici en grande partie de ce qui définit les « Combine Paintings » de Rauschenberg. L’objet, le mot, l’image. Il manque le bruit et l’odeur ? Pas vraiment.
Rauschenberg utilisa aussi assez fréquemment des animaux empaillés dans ses Combine. Non pas que les animaux dégagent encore une odeur, non, mais simplement l’idée de l’odeur. Un aigle, un bouc, une poule. La référence est brute et l’odeur bien présente à l’esprit.
Le son ? C’est à partir de 1961 que Rauschenberg commence sa série des « Time Paintings ». La First Time Painting fut réalisée lors d’une performance, hommage à David Tudor, à l’Ambassade des Etats Unis à Paris. Rauschenberg installa la toile dos au public afin que celui ci ne puisse en voir l’élaboration. Cependant, un micro était attaché à la toile. L’audience pouvait écouter la peinture en train de se faire. Le son de la peinture. Nous sommes proches du travail de John Cage, ami et compagnon d’expérimentation de Rauschenberg au Black Mountain College. Les sons au hasard, les sons du hasard et du commun. Petite musique de peinture. A chacun de voir ses propres images associées aux sons. Peinture, sons et mémoire.
L’on sort de l’exposition en se demandant si c’est la mémoire du peintre que nous avons scrutée, observée, analysée ou notre propre mémoire. Les images de l’artiste, les couleurs, les matières et les signes sont comme les sons de John Cage. Quelques notes en nébuleuse qui chatouillent nos neurones et remuent nos propres souvenirs.
La mémoire en satellites.